Sur les pas de Mado dans l'Orléans du XVIe siècle

Pour le chapitre où Mado se retrouve dans l'Orléans de la Renaissance en compagnie de Catherine et Michel, j'ai dû me documenter de manière assez rigoureuse pour ne pas raconter de bêtises. Pour cela j'avais 2 sources :

J'ai travaillé à partir du livre Orléans, une ville de la Renaissance publié par la Ville d'Orléans et le Centre d'études supérieures sur la Renaissance de l'université François Rabelais de Tours (ouf).

couve_orleans_ville_renaissance.pngCe livre a été réalisé pour l'exposition du même nom qui a eu lieu à la collégiale Saint-Pierre Le Puellier en 2009. Il a été pour moi une mine d'informations, sur la ville à cette époque : comment elle se présentait, les travaux qu'on y a entrepris, les petits et grands moments de la ville pendant le XVIè siècle. C'est là que j'ai trouvé que François Ier est venu y chercher Eléonore d'Autriche en novembre 1530  ! (détail capital quand même).

Et, mille mercis à lui, j'ai posé plein de questions à Clément Alix, archéologue au service archéologique municipal d'Orléans, qui a été une source d'informations très précieuse (il est crédité sur tous les bonus de la JFS comme vous pourrez le remarquer si vous les lisez tous).

Quand Mado sort avec Catherine et Michel dans l'Orléans de la Renaissance, nous nous situons en 1530, comme Robert le déduit au chapitre 9.
Pour cette balade nocturne mais sportive, j'ai conçu l'itinéraire à partir de la vieille carte suivante. Je vous la mets en plus gros pour que vous vous amusiez à voir où est la cathédrale, ou votre rue actuelle (si vous habitez Orléans). J'espère que ça passe bien !

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Le vray portraict de la ville d'Orléans, gravure aquarellée de Raymond Rancurel - 1575 (Musée historique et archéologique de l'Orléanais).

L'Orléans du livre a 45 ans de moins, mais la plupart des rues du centre ville n'a pas changé sur le XVIe. 

Mado, Catherine et Michel se déplacent autour du quartier canonial, où vivaient 
les gens d'église travaillant avec l'évêque (voir bonus sur la Maison Renaissance / la façade). Si vous vous rappelez bien, la maison du frère de Robert se situe juste derrière la maison de Mado. Du jardin, on peut voir la cathédrale, puisque Mado la contemple après s'être cassé la figure. 

Je sais que quelques-uns d'entre vous se sont amusés à chercher la maison de Mado dans le quartier Cathédrale. Il faut savoir que je n'ai pas tout à fait respecté la réalité géographique : la véritable maison canoniale dont je me suis inspirée n'est pas si facile à trouver !


Quand Mado, Catherine et Michel sortent de la maison Brachet, ils se retrouvent dans l'actuelle rue Dupanloup. J'ai situé la maison des Brachet à la place de l'ancien Évêché, qui n'existait pas encore en 1530, puisqu'il a commencé à être construit au XVIIe. Pour information, avant le début des travaux de restauration de l'Évêché, on a fait passer les archéologues qui ont pu examiner le sous-sol du bâtiment. Ils ont pu observer des traces de l'ancienne muraille, dont une tour, et des traces de maisons, mais on n'en sait pas plus sur celles-ci. Donc Claude Brachet aurait pu tout à fait habiter là.

Voici l'itinéraire emprunté par nos héros :

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C'est-à-dire, si l'on transpose sur un plan de maintenant :

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Bon je sais, mon plan de "maintenant" n'est pas super récent, c'est un plan-guide Blay de 1987 (wouah, l'antiquité, ce truc date du siècle dernier !). Par exemple il n'y a plus d'école maternelle au coin des rues Dupanloup et Bourdon Blanc, c'est maintenant le musée du Cercil. Mais on s'y retrouve quand même, non ?

Revenons à nos personnages et à leur trajet. Rapidement, ils tournent à droite, dans l'actuelle rue du Bourdon Blanc. Les maisons de cette rue datent principalement du XVIIIe siècle. Quelques-unes cependant remontent au XVIe et faisaient partie du quartier canonial, comme une des maisons occupées actuellement par le Centre chorégraphique national, sis au 37 rue du Bourdon Blanc :

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Ce n'est évidemment pas la maison qui a pignon sur rue qui date de cette époque, mais une autre au fond de cet ensemble (c'est assez grand dedans). On peut visiter les locaux au moins pendant les Journées du Patrimoine en septembre chaque année.

Un peu plus loin, au croisement avec la rue de Bourgogne, il y a également 2 maisons qui datent du début du XVIe siècle. À la fin du XVe siècle, le mur d'enceinte est élargi à l'est de la ville. Son ancienne limite à l'est était justement sous les numéros impairs de la rue du Bourdon Blanc et de la Tour Neuve. On va abattre ces murailles et en ériger d'autres pour englober le quartier Saint-Aignan.
Pour consulter les plans des différentes accrues, allez sur le site de Morgann Moussier, très complet et documenté. Je lui emprunte le plan récapitulatif des accrues successives :

plan_accrues_m.moussier.gif

En ville se libèrent donc des parcelles de terrain à construire !  On a retrouvé des documents commentant la construction des deux maisons à l'angle des rues du BB et de la rue de Bourgogne. Mado remarque justement les travaux. Ce sont ces deux maisons-ci :

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La lucarne de la deuxième est typique de cette période :
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Arrivés au coin de la rue de Bourgogne, nos héros empruntent cette artère, sur laquelle échoppes, magasins et tavernes fleurissaient. Le quartier était un quartier bourgeois avec beaucoup de commerçants.

Au sud de la rue, vers la Loire, c'était le quartier "étudiant" : écoles particulières (cours donnés par des maîtres) puis Université, établies dans le quartier délimité par l'actuelle rue de l'Université, la rue du Pommier, la rue du Puits-de-Linières, la rue du Gros Anneau, la rue Courreau (aujourd'hui disparue) et la rue des Africains.
Mado, Catherine et Michel croisent un groupe d'étudiants allemands. Comme je l'ai expliqué dans les notes de fin de livre, Orléans était à cette époque un centre intellectuel très dynamique.  D'une part, on y enseignait le droit romain, qu'on n'enseignait plus à Paris, donc beaucoup d'étudiants venaient dans la ville pour ces études. Par ailleurs la grande tolérance qu'on y professait dans l'enseignement, en particulier pour la Réforme (le Protestantisme, en plein développement), était un atout de plus pour le choix de cette destination, notamment pour les jeunes Protestants en provenance d'Allemagne.
Le quartier comptait d'ailleurs beaucoup de Protestants, installés principalement autour de Saint-Pierre-le-Puellier.

On a retrouvé dans l'actuel quartier Dessaux les traces de trois salles de jeu de paume. J'ai un peu triché avec les dates car la plus ancienne, le Petit Bel Ébat, serait apparue en 1544, "rue de la Croix, tenant au cimetière de Saint-Flou, par derrière aux murailles", mais c'était rigolo de pouvoir en parler !

Mado, Catherine et Michel remontent la rue de Bourgogne vers l'ouest, quand ils sont pris dans ce mouvement de panique causé par les deux petits malins à cheval. Mado est séparée des deux autres et se retrouve près de l'église Saint-Germain, alors que leur première destination était Saint-Pierre-en-Pont. L'église Saint-Germain a été démolie en 1770 mais il en reste un contrefort à droite de la porte métallique desservant le jardin de la Préfecture, qu'on peut voir à l'intersection de la rue et de la venelle Saint-Germain (source : Les lieux de culte à Orléans, SAHO - Société Archéologique et Historique de l'Orléanais) :

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Mises à part les traditionnelles crottes de chien orléanaises, ces rue et venelle Saint-Germain sont tout à fait charmantes :

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Après avoir échappé à ses poursuivants, Mado rejoint Catherine et Michel près de la place Saint-Pierre-en-Pont (ou Empont).
La place actuelle est assez grande et, outre des terrasses de restos, comprend le temple protestant d'Orléans :

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photo Mairie d'Orléans

Jusqu'au XIXe siècle cependant, c'était une église chrétienne qui se tenait là : Saint-Pierre-des-Hommes était le nom le plus usité, mais on l'appelait aussi Saint-Pierre-Empont ou en-Pont. Après la Révolution, l'église désacralisée a été vendue, transformée en raffinerie, magasin de vin et de fourrage. Une triste fin pour ce bâtiment dont le clocher servit de tour de guet jusqu'au milieu du XIVe siècle !


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extrait de Les lieux de culte à Orléans, SAHO.

Il ne reste plus de cette église que le nom de la place : cloître Saint-Pierre Empont :

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Puis, après avoir rencontré Maître Antoine et l'apprenti vannier, le groupe rejoint la place de la Cathédrale pour rentrer chez les Brachet. Catherine s'absente alors pour rendre visite à sa mère à l'Hôtel-Dieu, l'hôpital où l'on soignait les personnes pauvres à Orléans.

La place de la cathédrale que découvre alors Mado n'a absolument rien à voir avec ce qu'on connaît maintenant :



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La cathédrale de 1530 était radicalement différente, surtout vue de face, et en plus, un bâtiment imposant, le fameux Hôtel-Dieu, se tenait au pied de la tour nord (à gauche). Pour finir, la rue Jeanne d'Arc, qui a été percée au XIXe, n'existait pas encore. La perspective n'était donc pas du tout la même.

Commençons par la cathédrale. Notre bonne vieille cathédrale Sainte-Croix a connu une longue et tumultueuse vie. Je ne vais pas prétendre retracer toute son histoire. Mais, d'effondrements en vandalisme religieux, en passant par les incendies, cette cathédrale a fait l'objet de nombreuses reconstructions qui lui ont fait changer de visage bien souvent.

Du bâtiment que Mado voit en 1530, il ne reste aujourd'hui que l'arrière du bâtiment : les parties basses du
chœur, les chapelles rayonnantes (visibles rue Robert de Courtenay) et une partie de la nef. Tout le reste a été rebâti.
Quand Mado la découvre à son passage dans le jardin des Brachet en 1530, la cathédrale a une sacrée gueule (si je puis me permettre) : 
elle est surplombée d'une flèche imposante de plus de 54 toises (soit près de 100 mètres de haut, pas mal pour le XVIe, non ?) qui a été dressée en 1511.
Artistiquement travaillé, avec des ornements de plomb doré et argenté, ce clocher était surmonté
d'une croix posée sur une boule de plus de 3 mètres de diamètre. Rabelais parle de cette flèche et de la boule de métal qui la coiffe dans Pantagruel !

Par ailleurs les deux tours que nous connaissons maintenant ne sont pas non plus celles que voit Mado. En 1530, la façade de la cathédrale est celle érigée au XIIe siècle : elle est composée de 3 portails flanqués de deux tours romanes. Cette façade subsistera jusqu'en 1726.

La seule image que nous ayons de cette cathédrale date de 1600, avec une gravure sur bois représentant la cathédrale du début du XVIe siècle :

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Paris, Bibliothèque nationale de France

Malheureusement, les guerres de religion, qui ont beaucoup marqué Orléans, ont également durement touché la cathédrale : elle a été quasiment détruite en 1568 par les Réformés (les Protestants), qui n'y sont pas allés de main morte : ils ont miné les piliers de croisée et tiré sur la flèche à l'aide de cordes remorquées par des attelages ! Résultat : la flèche s'est effondrée en emportant une grande partie de l'édifice.
 
Il faudra attendre 1601 pour la reprise de la réédification. La cathédrale sera alors régulièrement en travaux jusqu'au XIXe siècle : le portail actuel est inauguré en 1829, la flèche construite en 1858 !

Jusqu'au XIXe siècle, la place de la cathédrale comportait également, comme c'était le cas dans beaucoup de villes, l'Hôtel-Dieu, un hôpital où l'on soignait les nécessiteux (dans des conditions absolument pas comparables à
l'hôpital d'aujourd'hui...)

Ce bâtiment avait été commencé au IXe siècle et était devenu labyrinthique à coups d'agrandissements et de reconstructions. On l'a démoli en 1845-46 pour gagner de la place tout autour de la cathédrale, alors qu'en parallèle on perçait la rue Jeanne d'Arc pour créer cette perspective que tant de touristes photographient. Évidemment, même si beaucoup ont regretté la destruction de l'Hôtel-Dieu qui avait une vraie valeur architecturale, ça rendait moins bien avant :

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Musée historique et archéologique de l'Orléanais - Aquarelle de Charles Pensée

Charles Pensée était un dessinateur et peintre du XIXe venu vivre à Orléans où il a passé son temps à peindre la ville dans ses moindres détails. L'ensemble de son œuvre livre un témoignage extrêmement précieux sur la ville telle qu'elle était avant les bouleversements urbanistiques des XIXe et XXe siècles. Auparavant la ville avait très peu bougé, et ce qu'on voit sur les tableaux de CH.Pensée, c'est un peu l'Orléans des XVIe, XVIIe et XVIIIe !
J'aime beaucoup ses peintures, car outre leur intérêt historique
, elles regorgent de petits détails de la vie quotidienne qui font vivre les marchés, les places, les ruelles... Pour les plus curieux, une salle du Musée historique et archéologique d'Orléans lui est consacrée.

Sur la peinture ci-dessus, Charles Pensée s'est situé à l'emplacement de l'actuel Conservatoire, qui était alors en construction. On voit bien la cathédrale, avec ses deux tours de maintenant, et donc l'Hôtel-Dieu juste devant.
Il ne reste de ce beau bâtiment que deux portes ; celle qu'on voit sur l'aquarelle :


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qui est déposée dans la cour du Musée historique et archéologique de l'Orléanais, et une plus monumentale, qui était à l'entrée Sud, et qui a été remontée dans la cour intérieure du Conservatoire (Hotel des Créneaux) place de la République, et que beaucoup traversent sans se douter de rien :

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Voilà ! 
Après le départ de Catherine, tous les personnages rentrent rue Dupanloup chez les Brachet et l'histoire continue.

Je voulais faire un clin
d'œil au Campo Santo qui était à l'époque encore un cimetière (qu'on voit bien avec toutes ses petites croix sur la carte de Rancurel), mais j'ai dû renoncer je ne sais plus trop pourquoi. En tout cas on peut encore admirer le beau portail d'entrée, très Renaissance, de ce lieu à l'entrée du parking à côté de l'ESAV :

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Autre petit détail : la maison des parents Brachet. Elle existe tout à fait et vous n'avez pas besoin de la chercher : c'est l'Hôtel de la Vieille Intendance, aux n°24 à 28 de la rue de la Bretonnerie et elle abrite de nos jours le Tribunal Administratif d'Orléans. Elle a été construite par François Brachet, issu d'une illustre famille orléanaise qui a vraiment existé (j'ai utilisé ce nom exprès), au tout début du XVIe siècle.
C'est un ensemble architectural remarquable, avec un bel escalier d'honneur, une charpente impressionnante et un parc qui autrefois s'étendait jusqu'aux boulevards (comme on peut le voir sur la vieille carte de Rancurel d'ailleurs). Malheureusement, l'intérieur n'a pas survécu aux siècles. On peut néanmoins la visiter lors des Journées européennes du Patrimoine en septembre et on peut en admirer la façade côté jardin dans le jardin public de la rue Alsace-Lorraine :

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Photos non créditées : Anne et Jean Bourgeois

Bonnes balades dans Orléans et n'hésitez pas à laisser un commentaire si vous en avez envie !



j'adore anne m'a même dédicacé le livre j'ai hâte de lire lasuite

RoseBonbon

Bonjour,
Votre article est parfait. Merci. Il ouvre des horizons.
Est il possible d’obtenir une copie plus fine de la belle carte Rancurel ?
Avec tous mes remerciements .
Très cordialement,

Moulet